Le 12 avril
Quelque part dans l’Océan Indien
Le Jongerius, l’un des derniers trois-mats-goélette de la Compagnie Néerlandaise des Indes Orientales, était un navire de commerce complètement remis à neuf et réhabilité en cellule d’exploration par une poignée de chercheurs océanographes passionnés d’histoire navale. Avec ses 52 mètres de long, ses 4 mètres 80 de tirant d’eau et ses 716 mètres carrés de voilure, le Jongerius quitta Port Elisabeth en Afrique du Sud, pour se rendre à Colombo, capitale de Ceylan. Il était prévu que le gréement fasse escale à Madagascar pour un changement partiel d’équipage. C’est là que je montais à bord en tant que mousse, pour ma première traversée dans l’océan indien.

Cela faisait près de 15 jours, que nous avions quitté le port de Toamasina. Le vent nous manquait, et nous n’étions qu’à 450 milles des Seychelles, sur la crête des Mascareignes. Nous étions un équipage de huit en plus du capitaine, et six chercheurs se partageaient les cabines à la poupe du navire. Vers 20h, la houle devint de plus en plus grande, et le vent se leva durant la nuit. Nous essuyâmes une tempête pendant cinq jours avec des vents assez violents qui malgré leurs forces, nous permirent d’avancer à vive allure, nous faisant presque rattraper le retard des premières semaines. L’aube du jour suivant s’accompagna d’un calme plat en mer d’Oman du sud. L’accalmie rarissime s’installa pour deux heures. Le capitaine, faisant les cents pas sur le pont répétait en boucle, le regard fixé sur l’horizon convexe : « du jamais vu ! ». Mais il s’agissait là du genre de calme qui précède les tempêtes les plus féroces des océans. La mer se déchaîna avec une telle rapidité, que nous fûmes pris de cours pour replier complètement la voilure. Les voiles carrées du mât de misaine étaient les plus longues à attacher. Le capitaine tenait bon le gouvernail, le second hurlait les ordres qui s’évanouissaient dans le fracas des vagues sur la coque, quant à nous autres, nous essayâmes tant bien que mal d’attacher ce qui pouvait encore l’être.

Je ne peux raconter avec précision, l’enchaînement des évènements qui nous conduisirent au naufrage, il me semble que nous avons rencontré une vague scélérate, qui brisa notre trois mâts goélette en deux. Seule la proue  avec le premier mat restèrent à la surface ; le démâtage de ce dernier, dont les voiles carrées n’avaient pas pu être hissées, aida finalement se semblant de bateau à ne pas sombrer. Nous n’étions plus que trois à bord, deux chercheurs et moi. Nous avons erré sur l’eau pendant des heures interminables, au cours desquelles, les deux scientifiques se donnèrent la mort, préférant écourter toute souffrance. Je restais ainsi seule, livrée aux éléments lorsque le destin me sourit enfin. Ce qui restait du Jongerius heurta un banc de sable et je me retrouvais face à un lagon qui encerclait avec une belle délicatesse une petite île rocheuse à la végétation tropicale. L’air était chaud, et je n’avais pas revu le soleil depuis l’accalmie de la veille, il me semblait toutefois que le crépuscule venait de tomber. Je m’endormis rapidement après cette vision paisible de paradis perdu.
Le lendemain, je décidais de nager jusqu’au rivage...

Je fus d’abord surprise par la quantité et la diversité d’espèces aquatiques qui m’escortaient jusqu’à la plage, puis je trouvais sur le rivage, de quoi me réhydrater: quelques coco que je trouai sur un rocher sans trop de difficultés. Après un court répit sur le sable chaud, et sans avoir perçu le moindre signe d’hostilité de cette île, j’entrepris un premier repérage. Le Jongerius s’était échoué au sud ouest sur un banc de sable, proche du récif corallien qui encerclait l’île. Il y avait deux plages, l’une qui partait de l’extrême sud et s’étendait sur l’est ; et la seconde répartie sur le quart nord ouest. Au nord-nord est se trouvait une zone très rocheuse, qui eu certainement été volcanique, duquel descendait un ruisseau à l’eau claire et douce.  Le reste de l’île que j’évaluais à 60% était constitué d’une végétation dense et tropicale, plutôt riche en fruits et baies. Je ne trouvais là que des oiseaux, et quelques malheureux insectes. Aucun signe de vie antérieure, ni même de passage d’homme.
Après quelques jours de vie paisible et ayant repris toutes mes forces, je décidais de m’installer de façon semi-pérenne, le temps que les secours me retrouvent.
Je retournai par trois fois sur l’épave pour récupérer un maximum de matériel.
Je pris ainsi une caissette d’outils, des couteaux, quelques bouteilles d’eau, un sac, des livres, de quoi écrire, un peu de bois, une bonne longueur de drisse et les voiles carrées.
Je me construisis un campement, une voile en guise de toit, une autre pour me faire un hamac, une autre abimée pour pêcher. J’étais sereine, bien que la civilisation me manquais. J’eu aimé avoir une table, quelque chose pour poser ma nourriture, mes carnets, mes livres, et qui aurait pu me suivre dans mes petites expéditions aux horizons que l’île m’offrait. Ainsi donc j’entrepris la réalisation d’une petite table nomade, tout à fait transportable. Je choisis pour le plateau, un tressage serré de drisse, un motif régulier et rassurant, et un piètement en bois à l’apparence tentaculaire.
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